Le cours d'écriture de Shirley
Consciente
J'essaye toujours d'être zen. C'est devenu comme un objectif dans ma vie. Atteindre la zénitude. Être cool, calme, focusée, concentrée, souriante, heureuse, devant les autres. Bien avec soi.
L'autre jour, je suis allée voir Christophe André lors d'une conférence sur la méditation en pleine conscience. J'y suis allée avec Christine. Elle fait du yoga. Je me suis dit qu'elle aimerait ça. Au pire, ça lui ferait une journée de travail off. Workaholic comme moi qu'elle est. On s'est retrouvées en plein milieu de femmes au bout de la crise de nerfs. Non. De femmes qui ont souffert. Qui souffrent. Qui cherchent. Comment s'en sortir. Habillées mal. Un peu vieilles. Un peu moches. Tu sais ? Celles qu'on a quittées. Leurs maris. Leurs gosses. C'est triste, mais j'ai compris quelle était la cible de ces conférences. Les perdues. Les sans espoir. Un amalgame d'intermondialistes et d'ex-ménagères de cinquante ans en quête d'un remplacement de soap opéras de 17h. D'une kermesse du village accessible et en même temps un peu élevée, éveillée, intello. Comment dire ? Une petite occasion de s'auto-dire bravo, j'ai fait quelque chose de ma journée aujourd'hui, je suis sur la bonne voie, ma vie ne sert pas à rien.
Je suis donc avec Christine. On déjeune ensemble. On parle. Puis on écoute. On goûte des raisins secs en pleine conscience. On ferme les yeux. On médite. On s'est toutes les deux soustraites de nos boulots respectifs que nous aimons (parfois, pas toujours), mais qui nous prennent trop de temps. On le sait. Nos maris, nos enfants nous le disent, nous l'avaient dit. Avant.
On se sépare. Je ne sais plus ce qu'elle allait faire. Moi, je suis allée dîner dans cet endroit tellement kitsch, le Capadoce, rue des petites écuries, une sorte de kebab quasi-élégant avec des tapis salis et des photos anciennes sur les murs. Le patron me connaît. Son fils est marié à une roumaine. Tous tout sourire. Ils m'offrent le thé à chaque fois. Ils me serrent la main puis se touchent le coeur. Des gens bien. J'y vais avec mon date Tinder du moment : Stéphane qu'il s'appelle. Il fait des wiki qu'il me dit. Il ne peut pas dire appli comme tout le monde? ETA 19:30 m'avait-il dit avant de se rencontrer. Estimated time of arrival. Comment j'aurais pu le savoir ? Depuis ASL (Age, Sex, Location) sur Mirc je n'ai plus rien suivi moi à l'IT. Parfois je me demande si ça n'aurait pas été mieux que je naisse au sein d'un peuple inuit, pas de télé, pas d'Internet, pas de Tinder, pas de prise de tête. Mon père aurait peut-être choisi mon mec parmi les beaux du village. Ou alors il aurait organisé un concours de chasse pour donner ma main. Ou alors …
J'ai pris mon gris-gris ce soir. Mes boucles d'oreille blanches en porcelaine qui font tink-tink quand je bouge la tête. Elles me portent toujours chance quand je date.
Pas ce soir ! Stéphane est à mourir d'ennui. Il parle depuis deux heures et je ne comprends toujours pas ce qu'il fait dans la vie.
"Tu m'invites chez toi pour un dernier verre ?"
Pourquoi je fais venir à chaque fois les mecs dans mon quartier pour qu'ils me sortent à chaque fois cette question imbécile ?
Non, mec, ce n'est pas pour te faire monter que je t'ai fait venir à châtelet, c'est parce que j'ai la flemme d'aller ailleurs. Peut-être aussi parce que mon quartier me rassure. Peut-être aussi parce que je suis fatiguée tout simplement. Tout est plus facile chez moi. Même quand il n'y a personne. Que moi.
Stéphane rentre chez lui bredouille. Et moi en cherchant les allumettes pour mes chères petites bougies (qu'est-ce que je suis bien chez moi quand même !) - sérendipité - je retrouve le porte-clé que j'ai cherché comme une folle l'autre jour. Celui avec mon père et ma mère en photo d'un côté et avec moi avec un chapeau de l'autre. Nous trois ensemble et en même temps à part. Dont lui - parti. Plus que nous deux, maman.
Viens, je t'amène
Viens, dit-elle en prenant la main du vieux monsieur. Tu viendras à la maison et ma maman te donnera à manger. Il y en aura aussi pour ton chien. Comment s'appelle-t-il ?
Il se taisait.
Comment s'appelle-t-il ?
Rien.
Bon, on va l'appeler Victor alors. Viens Victor ! Venez monsieur.
Le vieil homme se leva difficilement.
Le vieux chien le suivit.
Sans mot, les trois créatures avancèrent dans la rue.
La petite fille n'arrêtait pas de rire, parfois en chantant, souvent en racontant des histoires.
Chez nous il fait chaud, tu verras. Chez nous, il y a assez à manger pour tout le monde. Le linge est propre tous les jours. Et on ne manque jamais de rien.
Incrédule, le vieux marchait avec la petite fille. Il se laissait entraîner sans y croire. Il était trop vieux et trop triste pour réfléchir, se poser des questions, avoir un dialogue intérieur. Sa vie se résumait à s'éveiller, s'assoir, tendre la main, compter les pièces reçues, acheter à manger pour son chien, pour soi.
Les trois personnages arrivèrent devant un grand manoir. La petite fille ouvra la porte avec aisance, comme si elle l'avait déjà fait des milliers de fois. Au fond du long jardin qu'ils traversèrent, une nouvelle porte les attendait. Tout en parlant : tu verras, maman est douce et bonne et belle, tu l'aimeras de suite, la petite fille ouvra la porte et marcha confortablement dans le grand hall. La maison était vide et calme. Aucun meuble, aucun bruit.
Viens, allons dans la cuisine. A nouveau, la petite fille prit le vieillard par la main et l'entraîna dans une pièce au fond de la maison. C'était une grande cuisine avec plusieurs fours, une table, des chaises hautes et des placards, sous une lumière douce qui mettait en valeur le large plan de travail.
La petite fille commença par ouvrir le frigo et sortit pain, fromage et confiture, puis huile d'olive, amandes, miel et deux pommes. Elle connaissait son chemin dans les placards !
Maman, maman, on est dans la cuisine.
Puis elle alluma la radio et on entendit une douce air de jazz.
La petite fille s'occupa de tout : elle nourrit le vieillard et son chien et grignota elle-même quelques bananes et noix de cajou.
Puis ils montèrent allègrement à l'étage avec la petite fille expliquant : ils doivent être sortis maman et papa. Pas grave, on en profitera pour faire une sieste tous les trois en les attendant.
La petite sortit du linge propre et prépara un lit confortable dans une chambre bien chauffée.
Faites de beaux rêves, et elle sortit laissant le vieillard et son chien devant une baignoire remplie d'eau chaude sentant la lavande et le savon d'Alep.
Comme à son habitude, le vieillard ne se posa pas de questions. Il se lava soigneusement, puis utilisa la même eau pour laver avec soin son chien. Puis s'endormit paisiblement dans ce lit doux qui venait juste d'être fait.
En se réveillant, il entendit une dernière fois la voix cristalline de l'enfant : un éléphant se balançait sur une toile d'araignée …
En ouvrant les yeux, il vit son chien glacé à ses pieds. Il réalisa qu'il ne pouvait plus bouger ni doigts ni orteils et sentit une douleur lui réchauffer son corps tout entier à partir des extrémités.
Macaron
Tu vois ? C'est cette réaction "chaire de poule" qui me rend dingue. Certes, je sens dans ma bouche comme la salive s'accumule. Même ma langue chargée de nicotine sent sa texture (croquant à l'extérieur, doux à l'intérieur), mais c'est vraiment cette sensation dans tout le corps qui reste : une certaine sensibilité. Comme si, si maintenant, tout de suite, tu devais lécher mon téton, j'aurais un orgasme sans la moindre léchouille ou pénétration.
C'est tout. C'est bon. Je ferme les yeux et je suis seule. Avec lui. Le macaron. Aux amandes. Et au café. (Je le sais, parce que c'est moi qui l'ai acheté.)
Pomme
Je suis ce guerrier qui rentre à la maison un brin abîmé. J'ai eu de la chance : pas de membre cassé, juste quelques bleus, quelques égratignures, une peau plus dure, ridée, ternie. Mais je pense pouvoir tenir mes promesses : lave-moi, sèche-moi et plante tes dents dans ma chair et tu ne seras pas déçue, maîtresse. A l'intérieur, je suis sucrée et acide, croquante et un tout petit peu farineuse - tu parlais de chair de poule, tétons et sensibilité … tu seras servie. Mes fifly shades of yellow sauront t'apprivoiser.
Princesse, fais de moi ta clocharde !
Elle
Je viens de tuer ma femme.
Je. Respire. Je. Expire.
Je viens de tuer ma femme.
Nous avons un fils de trois ans ensemble.
Je viens de tuer ma femme.
Papa, où est maman ?
Elle est sortie mon petit chou.
Elle rentre quand ?
Plus tard. Va jouer mon petit chou.
Je viens de tuer ma femme.
Angela, qui m'a donné notre fils Baptiste. Une femme douce et tendre et cultivée et intelligente. Parfois fragile. Souvent triste, déçue.
Devant elle, j'ai toujours été coupable. De ne pas être comme les autres. De ne pas gagner assez d'argent. De ne pas prendre assez soin d'elle. De ne pas lui donner du plaisir. De ne pas m'intéresser à ses parents, à ses amis. De l'isoler. De la tenir renfermée hors de portée des autres. De ne pas assez l'aimer. D'être moi. Pas un autre.
Je l'aimais. Et je la détestais.
Je viens de la tuer.
Elle m'a dit :
André, je vais te quitter. Je n'en peux plus. On est malheureux tous les deux. Regarde nous. On ne couche même plus ensemble. On ne se regarde pas. On ne se parle pas. On aime tous les deux Baptiste, mais ce n'est pas assez.
Je veux partir. Je veux m'en aller. Je ne veux plus être ta femme. Libère-moi. Cela fait sept ans. Rends moi ma liberté. Sans elle je suffoque. Ma peau s'est desséchée. Mon corps s'est épaissi. Ma libido m'a quittée. Mon regard s'est appauvri.
J'ai besoin d'air. J'ai besoin d'eau. J'ai besoin de prendre le large.
J'aimerai toujours notre fils et je t'affectionnerai toujours, mais je ne peux plus rester dans cette maison dans la forêt.
J'ai besoin de me retrouver. Ailleurs. Seule.
Je veux prendre Baptiste avec moi mais si c'est trop dur pour toi je te le laisserai.
Tu es un bon père.
Je reviendrai. Je compenserai mon absence auprès de notre fils. Je ne peux pas être mère dans cet état.
Mes bagages sont prêts. Je ne prends pas grande chose. Dis-moi juste si je peux amener Baptiste.
Je t'ai aimé, sache-le. Cela va être mieux pour toi comme ça aussi. Tu vas rencontrer quelqu'un d'autre. Elle va t'aimer. Tu vas l'aimer. Tu vas la respecter. Tu ne vas plus être obligé de boire ou de peindre pour supporter sa présence.
Lâche-moi.
Lâche-moi, je te dis !
Qu'est-ce que tu fais ?
André, tu es devenu fou !
André, tu me fais mal !
André, je vais crier !
André …
Je viens de tuer ma femme.
Commentaires