Le cours d'écriture de Marie
SIROP
Tes paroles sont de feu. Tu me lances tes mots comme des flèches, sans te
soucier quel endroit de mon corps va saigner, quel bout de chair va s’ouvrir
sur du rouge, sur de l’argent, quelle nouvelle blessure va fleurir sous ton
épée enfoncée dans mon cœur.
Tes baisers sont de l’eau. Tu poses tes caresses sur mon corps comme des
langes qui m’entourent (c’est ça que tu me fais boire tous les jours) les
jambes, la taille, le sexe, comme pour éteindre cet incendie que tu as lancé
qui brûle en moi, comme pour me bercer quand je me réveille seule dans la nuit
en pleurant en toute sincérité, comme s’il n’y avait pas eu de parole (ces
paroles, tes paroles, partout, toujours) avant.
vAriations
Apporte-moi l’abîme. Je suis prête à le recevoir.
Avoue que tu y as pensé aussi, même avant.
Arrête de dire que ce n’est pas vrai.
Autrefois je t’aurais peut-être cru.
Après tout, je t’aimais, tu m’aimais, on s’aimait …
Attends deux minutes avant de me le balancer à la gueule.
Allume un peu, je veux te voir
A la vie, comme à la mort ;
Asphyxiée, desséchée, attristée …
Ah, chéri, c’est parti !
STOCKAGE
Tu vois, quand je pense au mariage, il y a un truc qui me fait pleurer à
chaque fois : c’est la première valse. Je trouve ça tellement beau et
tellement triste en même temps. Le père qui donne sa fille au gendre sur une
chanson. Ça doit lui tordre le cœur. Il est sûrement heureux, mais ça lui tord
le cœur. Il y a de la passation, mais il y a aussi de la renonciation. Ça marque
un nouveau départ, mais aussi une fin ; de quelque chose de précieux. C’est
là où je commence à pleurer.
Papa, si un jour je devais me marier, je voudrais que l’on ne danse pas une
seule valse tous les deux, mais plusieurs, pour en mettre en réserve, pour le
reste de la vie.
DU DOS EN CYPHOSE
Ce matin-là, M. André Tugdual, comme tous les premiers lundis du mois de
juin depuis quarante ans, se dirigeait vers le centre d’imagerie médicale du
88, boulevard Voltaire, dans le 11e, pour y effectuer la radio
annuelle de sa colonne vertébrale. Bossu dès la naissance, M. Tugdual avait
soigneusement surveillé le positionnement de ses vertèbres depuis son plus
jeune âge adulte, en espérant ne jamais arriver dans un état de dépendance,
comme Mme. sa mère chérie l’avait été, à sa charge, pour la plupart du dernier
trimestre de sa vie. Inutile de dire, donc, que ce contrôle était une source de
stress importante pour M. Tugdual, qu’il appréhendait tous les ans comme une sentence
ultime. Ce matin-là ne faisant pas défaut à la règle, à pas de rat, M. Tugdual
arriva au cabinet très tôt, déjà les nerfs en pelote en anticipation du
contrôle annuel, mais aussi à la suite d’une rencontre matinale des plus
désagréables : avec un rat qui zigzagua entre ses pas sur le chemin. Une
fois arrivé au cabinet, la tension de M. Tugdual fut alimentée une fois de plus
par l’annonce de son médecin que le scanner de la journée lui serait fait en
présence de jeunes étudiants en médecine, devant lesquels sa simili-sensation
de calme habituelle en tête-à-tête avec son médecin vola en éclats dès que ce
dernier prononça d’un air très académique : « Dans le cas présent,
nous y voyons des déformations du dos en cyphose vues au scope ».
Ça l’avait soulé. Au point qu’il fit un malaise (comme souvent dans les
périodes de crise de sa vie) et il se réveilla à l’hôpital, seul dans une
réserve qu’il identifia comme faisant partie de l’hôpital Saint-Antoine, près
de Reuilly Diderot. Bien sûr, il rit quand il vit en bas de son lit un pot ou
plutôt un seau que jamais il ne voulut utiliser. Il rit tellement fort et avec
tellement de rage (les souvenirs de sa matinée pourrie ne s’étant pas effacés
avec le voyage accompagné à l’hôpital) que son cœur finit par céder, le
plongeant dans un état végétatif qui s’avéra sans espoir dès le lendemain.
Mme. sa femme chérie, appelée en urgence, fit le choix courageux d’arrêter
les appareils de respiration artificielle et procéda aux rites de passage dans
l’au-delà convenus précédemment avec son mari. En effet, M. Tugdual ayant été
un fervent admirateur du Moyen Age, voire, à quelques reprises, un passionné
pratiquant de ses costumes d’époque, Mme. sa femme chérie fit inscrire la
phrase léguée par son défunt mari exprès pour l’occasion : « Ci-git
Sire Tugdual, mis en terre par sa dame vers les remparts de Sion ». Paix à
son âme. Amen.
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