Le cours d'écriture de Shirley



Voeux de fée pour le petit Charles
Que la vie soit douce avec toi. Qu'elle te soit comme un voile translucide, comme un bon éclaireur, comme un léger papillon. 
Je te souhaite un chemin d'arcs-en-ciel et de chutes d'eau éblouissantes ; un chemin parsemé de petites pierre luisant, la nuit, remplies de lune ; un chemin tantôt droit et jusqu'au but, tantôt ondulant, suivant au hasard les bobines de film jetées par terre par un projectionniste réac' épris de blagues. 
Que ton foyer soit aimant et qu'il te forge un sentiment de sécurité.
Que tu n'aies pas peur d'être sincère et juste. 
Je te souhaite des paillettes sur tes paupières, sur tes épaules, des pirouette et des tangos. 
Je te souhaite des rayons partant de tes doigts et de ta bouche, qui touchent les autres jusqu'au plus profond de leur être.
Que la vie soit douce avec toi. Qu'elle te soit comme une baguette magique à utiliser consciemment et avec parcimonie.

Animens Galantum
Ce soir je vois Julien. C'est la première fois que je le rencontre après l'intervention. Je suis excitée comme une puce. Quand Julien m'a parlé la dernière fois de l'implant d'Animens Galantum qu'il s'était fait poser derrière les amygdales, je suis restée bouche-bée. J'en avais entendu parler bien sûr. Il fut un temps où tout le monde en parlait : ce nouvel organe qui régule les interactions entre le cerveau et le coeur, entre l'intellect et l'âme, rendant le discours intérieur et extérieur fluides, sans contrariété. Il y avait même des pubs à la télé : prenez votre vie en main ; alignez vos pensées et vos sentiments et pointez-les vers une direction unique, celle du bonheur ; débarrassez-vous des conflits intérieurs et vivez votre vie pleinement et sereinement, dans l'épanouissement individuel et collectif. 
Je n'y ai pas cru. Puis c'était cher ! 5 000 euros sans la pose et une anesthésie générale plus dix jours de réglages en récupération intensive. ça m'a découragée. Aucun de mes amis ne l'a fait d'ailleurs, ou aucun d'entre eux ne l'a reconnu jusqu'à ce jour. 
Julien ne m'en a pas non plus parlé de suite. On s'était déjà vus cinq fois avant, dont deux fois concluantes si vous voyez ce que je veux dire.
C'est dans le lit qu'il m'en a parlé. 
Il m'a dit : Alexandra, tu connais l'Animens Galantum ?
Oui, comme tout le monde. 
Je l'ai. 
Comment ça, tu l'as ?
Je me le suis fait poser. Je l'ai, en moi.
C'est vrai ? 
Oui. 
Et qu'est-ce que ça fait ? 
Exactement comme ils disent : alignement pensée et sentiment. Tu comprends ?
Non. C'est-à-dire ? 
Prenons un exemple concret : prenons-nous, nous deux. Dans le passé, je t'aurais fait l'amour même si je n'avais pas tenu à toi :
- pensée : il faut que je me tape cette fille ;
- sentiment : je n'éprouve rien pour elle ;
- conflit : est-ce moralement ok ? Non, mais je vais me la taper quand même, j'en ai envie. 
- post-coït : c'était sympa ; je suis un salaud. 
Ce jugement m'aurait poursuivi. J'aurais eu du mal à bâtir une relation avec toi à cause de lui. J'aurais continué les rencontres sans lendemain et j'aurais fini éternellement célibataire. Or ce n'est pas ce que je voulais. 
Et maintenant ?
Maintenant je suis heureux. Je t'ai recentrée. Tu me plais. J'ai des sentiments pour toi. J'ai pu arriver à toi parce que je n'ai pas perdu mon temps avec des histoires dans lesquelles j'aurais été émotionnellement absent. Tu ne veux pas essayer ?
Moi ? Quoi ?
L'implant. 
Mais pour quoi faire ? Je suis déjà alignée moi. Je suis intellectuellement et émotionnellement engagée avec toi. 
Pour après : quand tu rencontreras quelqu'un d'autre qui te plaira ; pour ne pas me tromper ; pour que notre relation dure. Fais-le pour nous. 
Je n'ai pas su quoi répondre. Je me voyais déjà mariée avec enfants et je ne voulais pas tout faire capoter à cause d'une simple intervention. Le lendemain j'ai pris rendez-vous. 
Je vois Julien ce soir. Je lui ai dit que je l'attendrais au Pause Café, comme d'habitude. Il ne m'a pas répondu. J'espère qu'il viendra. Normalement, il n'y a pas de risque : son Animens Galantum l'y obligera.

Mon nom est Patience
Fatima, mon amour, où es-tu à cette heure tardive, que fais-tu derrière les murs millénaires de ta maison familiale, penses-tu à moi ? 
Tes pas et ton parfum me reviennent à l'esprit et réveillent en moi l'image de votre cour intérieure que j'aime tellement. 
Je vois la petite fontaine en marbre blanc gardée par deux éléphants figés en mouvement. Je vois les arcades doucement ondulantes veillant sur nous - moi et ton père, mon bien aimé maître miniaturiste - plongés dans nos desseins sous la douce lumière de l'après-midi Bengale. Je vois les bas-reliefs ornant les murs avec leurs représentations historiques, parfois osées, toujours passionnées, de nos dieux éternels. Ce rouge ; ce bleu ; ce vert. 
Ton père et moi, nous nous efforçons à reproduire au moins la plus infime partie de la splendeur de ce décor sur nos feuilles blanches - support, oh combien plus fragile et éphémère que le rocher de ces murs défiant le passage du temps cruel. 
Fatima, mon amour, seuls tes pas et ton parfum restent derrière l'évocation de l'image de votre cour. Les uniques choses qui me lient à toi. Je ne t'ai jamais vue ma princesse, mais je t'ai imaginée mille fois. Tes yeux en amande aux mille reflets aquatiques. Ta lourde chevelure étincelant en cascade. Tes lèvres charnues qu'aucun homme ne pourrait s'empêcher d'imaginer de mordre et pire. Ton corps de déesse sculptée par un artiste qu'on aura aveuglé sans attendre pour qu'il ne puisse pas le recréer pour une autre.
Fatima, mon amour, toute cette histoire que j'ai créée prendra-t-elle forme un jour dans nos vies réelles ? J'en ai envie et j'en ai peur. 
J'ai demandé ta main à ton père, mon mentor. J'ai relevé toutes les épreuves auxquelles il a jugé nécessaire de me soumettre. Je saurai demain si je pourrai devenir le plus heureux des hommes. 
Seras-tu comme je t'ai rêvée ? 

Picnic
Vert à perte de vue (herbe, arbres) et bleu en haut (ciel sans nuages). Odeur de foin fraîchement coupé. Fraîcheur de la terre sous les pieds nus. Dureté de la terre, aspérités rugueuses, sous le dos allongé sur une fine couverture. Une nappe plutôt. Un drap troué. 
Maman et papa nous ont dit d'aller chercher des trèfles à quatre feuilles. ça porte chance, c'est un porte-bonheur. Si on en trouve il faut les avertir très vite. Mais on doit être attentives et chercher soigneusement, il n'y en a pas beaucoup et on n'en trouve pas souvent. 
Comment faire pour ne pas en louper un ? Il y en a tellement, de trèfles. Je les touche un à un. Je ne les arrache pas, je ne veux pas les tuer inutilement. J'avance de mon côté, Mickaëla du sien. On se retrouve au milieu. On n'en a trouvé aucun. 
Mickaëla me montre des baies dans un buisson pas loin. Elle dit qu'il ne faut pas en manger, c'est dangereux, elles sont venimeuses. 
Elle passe à une touffe d'herbes, plus loin : ça, c'est comme du persil. Si un jour tu n'en trouves pas au marché ou que t'as oublié d'en acheter, tu peux venir ici : c'est tout pareil. Et moins cher. 
Mickaëla connaît tout sur tout côté plantes. 
Et côté vie : elle connaît tous les enfants du village et a un avis sur chacun d'entre eux. 
Lui, sa mère est une ivrogne. Elle filtre l'alcool médicinal pour le boire, c'est pas cher. 
Elle, sa mère est une pute. Elle fait venir des hommes à la maison. Parfois, elle leur donne sa fille. 
Lui, son grand frère vendait de la drogue. Il est en prison parce qu'on l'a attrapé avec un chou rempli de pilules. 
Elle, son père battait sa mère. C'est pour ça qu'elle les a quittés.
Ces histoires n'existent pas quand je ne suis pas avec Mickaëla. 
Chez nous, personne ne boit, personne ne bat, personne ne prend de la drogue, personne ne se prostitue. 
Chez nous, on se dispute. Papa appelle maman imbécile. Maman appelle papa bon à rien. Avec moi, ils sont gentils. Papa m'appelle p'tit moineau. Maman m'appelle ma princesse. Ils sont gentils mais ils me font quand même peur. Maman dit qu'elle va quitter papa, qu'elle va se trouver un autre mari. Je ne sais pas si elle est sérieuse. Elle en a l'air quand même. Papa dit qu'elle peut y aller, qu'il payera même une bière à son nouveau mari s'il l'épouse. Je ne sais pas s'il est sérieux. Il en a l'air quand même. 
Alors je retourne aux trèfles et je recommence. Ce serait quand même chouette que j'en trouve un à quatre feuilles, il pourrait peut-être m'aider avec maman et papa pour qu'ils ne se disputent plus et qu'ils ne se quittent pas. 
Oui, un trèfle à quatre feuilles ce serait vraiment chouette !

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