Le cours d'écriture de Marie



Prête

Rose comptait ses respirations comme elle avait appris en méditation. Elle descendait son regard intérieur, elle s'intro-touchait du haut vers le bas, du milieu de son crâne jusqu'aux orteils, prenant conscience de son corps qu'elle oubliait si souvent. Elle s'imaginait baignée de lumière, en plein soleil, des milliers de rayons chauffants descendant sur elle, coulant comme l'eau sous la douche et pénétrant petit à petit tout, chaque particule de sa peau jusqu'aux recoins les plus cachés. 10 minutes plus tard, elle ouvrait les yeux d'un calme lointain encore palpable, comme le brouillard avant de se dissiper. 
Prête. Aussi prête qu'elle aurait jamais pu l'être.
Rose regarda une dernière fois dans son sac préparé la veille pour vérifier encore et encore la présence de sa carte d'identité, du dossier, de la convocation.
Elle prit son écharpe noire, son manteau maintenant un peu épais pour la saison, son téléphone et ses clefs et jeta un dernier coup d'oeil pour vérifier que tout était dans l'ordre : électricité, eau, fenêtres. Petite, elle avait déjà peur d'oublier quelque chose d'allumé, sensibilisée au bord de la raison par son père aux accidents domestiques. Ce père fort, gentil, rassurant. Ce bon Francis que leur manquait tant à elle et à sa mère. Cet homme qu'elles s'étaient partagé dans un amour sans doute inadapté ; d'un coté, comme de l'autre. Trop compétitif pour la mère, trop fusionnel pour la fille. Trois facettes d'une seule identité machiste n'arrêtant pas de s'auto-attraper à chaque essai d'escapade. Son père crier, sa mère pleurer, ils étaient là les souvenirs d'enfance de Rose. Sa mère en train d'appeler sa belle-mère pour se plaindre de l'éducation qu'elle avait donnée à son fils / mari. Son père en train de courir sur la neige en petite culotte et peignoir (à peine sorti de la douche) pour rattraper sa femme "partie dans le monde".

La main dans son sac, Rose se demandait si elle était en train de sortir ses clefs pour fermer ou si elle était en train de les ranger. Elle essaya le poignet : fermé. Elle peut donc y aller. 
Un dernier éclair : descendre à la cave récupérer le grand miroir de grand-mère pour le déposer aux puces après le procès. Saint-Ouen, ce n'est pas loin de la nouvelle cité administrative de Clichy. De toute façon, qu'elle ait la garde ou pas, son fils Antoine n'en voudra pas.

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Il était une fois, comme tous les vendredis soirs, à Monoprix ...

Tu es folle, qu'il m'a dit. Tu exagères, qu'est-ce que ça peut bien te faire si je retourne sur adopteunmec tant que je ne vois pas d'autres filles ? Ca me fait du bien, c'est pour mon moral, c'est pour mon égo. Je ne fais rien de mal. Je suis fidèle. T'en fais tout un plat alors qu'il n'y a rien, je ne sors qu'avec toi, je te l'ai déjà dit. Arrête de faire ton hystérique, plus tu me dis d'arrêter d'y aller, plus tu me donnes envie d'y aller. 
Non mais je rêve ! Il me dit tout ça calmement, avec le sourire limite, comme si de rien n'était. Comme si c'était normal de draguer d'autres moeufs quand on est en couple et que j'étais la seule au monde à ne pas comprendre ça. Ah, le culot ! Il m'a eue avec l'effet surprise. J'étais tétanisée tellement j'avais trouvé ça irréaliste, alors je n'ai rien pu dire. Mais ce soir je lui éclate la gueule. Dès que je finis avec cette queue de merde, qui me semble interminable, je l'appelle et je lui dis que c'est un salaud et que s'il persiste dans sa connerie on ne se verra plus. Malgré ses jolies fesses. Rien à foutre. Ce n'est pas sérieux ! Je pensais qu'il rigolait moi au début, je pensais que c'était son sens de l'humour décalé, qui m'avait tellement plu. Mais le mec, il est sérieux. Il se fout vraiment de ma gueule. Alors ça va être niet. Au revoir. Adieu. Non, mais !
Je suis vraiment trop gentille. Avec les mecs, avec mes potes, avec mes parents, avec mon boss. Regarde, je suis encore en caisse alors que je devais finir à 18h. Mais comme Marcel m'a priée de rester, vu tout le monde qu'il y avait, encore une fois j'ai mordu. Trop gentille ! C'est ce que va être ma perte. Cette foutue gentillesse.
- Bonsoir Madame, vous voulez un sac ?

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Donc : j'ai pris du pain complet, des wasa, des pâtes complètes, du riz complet, de l'huile d'olive, du comté, des yaourts, des bananes, du saumon, des haricots verts, des sacs de congélation, de nouvelles croquettes pour le chien, des petits écoliers pour le petit, du gin et du schweppes pour Christian, … C'est tellement lourd ! Et cette queue qui n'en finit plus …
Je suis vraiment la femme parfaite : partie tôt du boulot pour sortir le chien, faire les courses, préparer le repas du soir pour mon cher et tendre, lui faire son petit cocktail pour patienter le temps que tout est prêt, comme tous les vendredis, pour fêter le début du week-end ensemble. 
Je suis vraiment aux petits soins pour lui : hier j'ai amené son chien au véto, aujourd'hui j'ai récupéré ses chemises au pressing, demain je vais chercher son fils chez son ex-femme. En plein trip mamouchka balkanique, on se demande où a bien pu passer la business woman branchée, cosmopolite et globe-trotteuse qu'on me connaissait.
Et on me dit que j'ai bonne mine en plus, que ça me fait du bien. On me demande quand on aménage ensemble, quand on lance le gosse. Ou-là ! Ca va trop vite là ! C'est bien, on est bien ensemble, mais faut pas croire qu'il ne me fait pas péter un plomb de temps en temps. Je ne vais pas me mentir, mes soirées copines, je les attends avec impatience, on se marre plus avec ses potes qu'avec un mec quand même. Avec les mecs c'est tout de suite sérieux, ça fait des courses, ça cuisine, ça fait la vaisselle, ça parle politique, et entreprise, et management, et société. Alors qu'avec les filles juste on se marre. On se raconte nos vies, on critique les autres. Tiens, l'autre soir en terrasse on donnait des notes aux mecs qui passaient. Ca, c'est drôle ! Pas la sortie de l'Europe et la lutte syndicale. 
- Bonsoir Madame, j'en veux même deux de sacs s'il vous plaît.
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La prostate. J'hallucine. Je souffre de la prostate. Depuis quand c'est une maladie de chien, ça ? De vieux - oui, de chien - non !
Je savais que ça n'allait pas de toute façon. C'est pour ça que je n'ai plus touché à leurs croquettes de merde depuis 3 jours. Je me suis dit qu'ils allaient bien se rendre compte qu'il y avait un truc. Et ça n'a pas loupé. 
Du sang dans mon pipi ! Le liquide le plus précieux au monde qui me sert pour tracer les frontières de mon domaine … sali !
J'espère que leurs antibiotiques seront efficaces et que cette histoire sera vite terminée. Bien avant les 3 semaines de traitement. 
Ah, de nouvelles croquettes. Enfin elle a compris cette conne qu'on devait s'occuper du malade.. 
- Merci Madame, au revoir Madame !

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My precious

Je ne me séparerai jamais de mes Nike. Pas de la même paire, bien sûr que non, je dois en être déjà à ma quatrième, mais du même modèle, le Zoom Pegasus 32. Des baskets, j'en ai connus : j'ai eu des Gola, des Converse, des Adidas (pardon, mais les Stanley Smith appartiennent aux années 80, je ne cautionne pas du tout ce revival artificiel qui ne porte aucun message, aucun statement, aucune philosophie), des Reebok, des Jordan, des Sketchers, des Asics, des Puma, des Fila, même des Le Coq Sportif, mais je n'ai jamais trouvé une chaussure aussi parfaite que les Nike Zoom Pegasus 32. Leur confort (quelle joie pour plante et orteils !), leur design (cette légèreté des lignes et des contours, ce tissu de couverture en filigrane, cette discrète broderie aux accents rustiques contrastant avec la technicité absolue de la semelle caoutchoutée), leur passe-par-tout-abilité (running, bureau, opéra, apéro entre amis : une Nike complétera une tenue sport et cassera utilement une tenue élégante), leur coloris tantôt pastel, tantôt vif, tantôt noir et blanc et les innombrables combinaisons ouvertes, leur "tout ça" les rend à mes yeux les chaussures idéales dont je ne me séparerai jamais, quoi qu'il arrive. 
La Nike est aux baskets ce que Chanel est aux tailleurs. Elle est efficace, straight to the point, bien dans ses bottes, la tête sur les épaules, mature, réaliste, et en même temps douce, légère, épurée, sublimée, stylisée jusqu'au dépouillement final de tout élément superflu. Elle est comme une pièce de Peter Brook, mais pas du Beckett. Elle est juste. Elle est authentique. Elle est sans effort. Elle est pieds nus sur une scène sans décors. Elle est seule en scène et découverte devant tous. Elle s'assume.
Elle est tellement bien que j'en ai aussi offert à ma mère. Deux paires : une noire pour son deuil, une bleue pour après.
La noire je l'ai aussi. On a donc la même. Mes autres sont roses, 3 nuances de rose. Bien girly, bien pretty, bien mimi.
Mes Nikes, quoi. 

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