Le cours d'écriture de Hortense

Recueillement

Je suis rentrée dans cette église de Montmartre. Pas le Sacré Cœur, une plus petite, pas loin. Plus intime, j’y étais seule quasiment. Du silence au milieu de la foule. Je n’aime pas Montmartre. Les touristes les uns sur les autres, le blingbling les paillettes ; Disney ; Dubaï. L’isolement dès qu’on passe dans la partie résidentielle. Les riches entre les riches. La peur de ne pas être assez, de ne pas être à ma place. Et pourtant dans cette église le calme de chez moi, la paix à l’intérieur de moi. Un moment de répit. Prendre appui sur Dieu. Penser aux morts. A mon père. Décédé le 13 mai 2015. Faire le deuil. Toujours pas achevé. Malgré le temps. Malgré le travail : l’amour des proches – pour lui et pour moi, la thérapie, l’écriture, l’évocation. Regarder dans moi les parties de lui ; dire « bonjour papa » quand je me fais du mal comme il se faisait du mal – la trop bouffe la trop seule la trop résignée ; dire « ce n’est pas moi, c’est toi », je t’aime mais je me désolidarise, te laisser partir n’est pas te trahir, t’aimer c’est m’aimer, c’est me donner les moyens d’être heureuse.

Dès que je pense à lui les larmes remontent, mon petit papa chéri que j’aime d’amour. Nos blagues, nos rires, tes bisous sur mon nez – l’organe que l’on partage. Et dire que ma mère ose me conseiller une chirurgie esthétique ! T’extirper de mon corps, jamais. En revanche, une liposuccion, je ne suis pas contre. Ton énorme ventre – mes poignées d’amour. Nos corps déformés. T’avoir piqué un pantalon ado ne trouvant plus ma taille en boutique. Était-ce pour ne pas plaire aux autres hommes ? Était-ce pour tester ton amour ? Combien devais-je grossir pour que tu me trouves dégoutante, pour me confirmer que non, ton amour non plus n’était pas inconditionnel, que je finirais bien seule abandonnée de tous un jour.

Je te racontais tout. Tu partageais humblement ton expérience pour m’aider sans prétendre avoir la bonne réponse. Tu partageais avec enthousiasme tes rêves pour moi sans me mettre la pression. Tu étais présent. Tu étais vrai. « Ici et maintenant ». Dans le lien. Comment ça se fait que je n’arrive pas à créer des relations saines et aimantes avec les hommes de ma vie ? Pourquoi je ne leur fais pas confiance comme je te faisais confiance ? Comment oublier le père ? Comment inventer l’amant ?

Larmes séchées, jambes reposées, un rayon de soleil sur mon visage - traversée des vitraux - chaleur colorée - mon père absent remis à sa place dans mes souvenirs dans mon cœur déchiré.

Je re-sors. Montmartre l’été.


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Me and you, just us two

Ça s’ouvre sur le sable, l’océan et le ciel. Marée basse. Vagues mousseuses. Nuages suspendus.

Rien à l’horizon. Sauf deux silhouettes. Un homme. Une femme. De dos. Regardant dans la même direction. Peut-être qu’ils se touchent. Ils sont trop loin pour que je m’en rende compte.

Voilà : c’est ce que je cherche. Être la femme de cette photo. Être la femme de cet homme. Seule avec lui entre terre et mer. Ensemble avec lui face à l’immensité du monde. Faisant partie de cette beauté qu’est la vie à deux (projection, représentation, image).

Je suis émue devant cette scène puisque c’est mon vœu le plus cher : être aimée. Et pourtant il m’échappe. Acceptance is the answer. Ici et maintenant, just for today, je n’y arrive pas. Je regarde et je jalouse. Leur présence – mon absence. Leur ensemble (togetherness) – ma solitude, mon isolement. Je me dis que dans cette photo il y a ce que l’on voit – eux, heureux ; et ce que l’on soupçonne – moi,  triste, derrière la caméra de mon iPhone. Je suis sûre qu’il suffit que je montre cette photo pour que tout le monde devine ma détresse, ma fragilité, ma peur de vieillir seule. Je suis sûre qu’ils se moquent de moi, de ma force apparente, de mon incapacité d’être en couple. Parfois on me le demande : pourquoi tu es seule ? Une fille si brillante, si douce, si belle ? Où est le hic ? Où est l’arnaque ? Qu’est-ce que je cache au reste du monde et qui me rend insupportable, inabordable, inaimable ?

Plutôt que d’être dans la comparaison (ils ont, je n’ai pas), je pourrais aussi être dans l’inspiration (ils ont, good for them, j’aurai aussi, thank you for showing me the way).

Plutôt que d’être dans la victimisation (pauvre moi, lucky them), je pourrais aussi être dans l’interrogation (sont-ils heureux ? vraiment ?).

Acceptance is the answer. Ici et maintenant, just for today, je commence par voir les plusieurs points de vue, les options, les possibles. Je ne suis pas figée derrière mon téléphone. Je peux aller dire bonjour à ce couple inconnu, vous êtes là en vacances, comme nous, vous venez d’où, vous repartez quand, votre hôtel est bien, des restos à nous conseiller ? Je peux me tourner vers mes amis (a)dorés (Aurélia, Aurélien) pour un selfie. Je peux leur partager mes sentiments, mes peurs, mes besoins. Je peux leur demander de l’aide : me soutenir, un câlin, être là pour moi. Non, je ne suis pas seule. Nous sommes ensemble. J’ai faim. Et si nous allions nous chercher un énorme plateau de fruits de mer ce soir ?

Je change de perspective. Cap Ferret. Hors saison.


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Nothing personal

Aujourd’hui mon sac : le pliage de Longchamp. Un sac pratique, qui tient la route, littéralement. Pas de forme, pas de fioriture, pas de superflu. Reliable. De confiance. Il ne va pas casser. Il ne va pas me foutre la honte en me laissant tomber en pleine rue au retour du marché, mon poulet rôti soudain par terre irrécupérable. Un sac unisexe, sans statut social, sans message, sans valeurs, sans revendications.

Aujourd’hui dans mon sac : ma pompe à vélo, mon torchon à vélo, mon sachet de masques, mon portefeuille, mon portable, mes écouteurs, mes clefs. Rien de personnel. Pas d’accessoire. Que de l’utile. Vers quoi je me tourne quand je ne suis pas bien ? Je peux toujours fouiller dans mon sac, je n’y trouverai rien pour prendre appui, pour m’accrocher, pour me reposer sur. Pas de soutien matériel. Pas de porte bonheur. Pas de magie.

Je dois écrire un texte sur un objet qui m’accompagne tout le temps. Je suis en train d’écrire un texte sur rien. Quel que soit le thème que l’on me donne, je me retrouve à écrire sur la solitude, sur la séparation entre moi et les autres, sur mon absence de lien, d’attachement, d’incarnation dans le monde du réel, du concret. Je n’ai pas d’objet fétiche. Je n’existe pas par le matériel, ma vie est éphémère, je suis comme la Rose du Petit Prince. Quand je me fanerai il n’en restera rien. Une autre prendra ma place. Ni vue ni connue. Une goutte d’eau. Une goutte sédative. Auto-sédative.

Je me relis : le contenu de mon sac, est-il tellement impersonnel ? Avoir un vélo, n’est-ce pas une identité ? L’absence de quelque chose (un pass Nagivo), ne signifie-t-elle pas la présence d’une autre (une fille sportive / écolo / claustrophobe / …) ?

Je n’ai pas, donc je suis. Je me qualifie comme généreuse, altruiste, au service de l’autre. Quand j’aide, je m’oublie, ma tête se vide, plus rien de triste, de lourd. Le cœur sur la main. Mon cœur chez l’autre. Mieux que sous mon sein. La grenade. Je te la passe avant qu’elle n’explose entre mes mains.

Je n’ai pas, mais j’écoute. Clara Luciani dans mes oreilles, intégrer les histoires des autres, s’identifier, créer le soi. Féministe. Vorace. Vivante. Une rage sommeille que tu ne soupçonnes pas. Ou alors : un homme lâche, fuyant, machiste, faible, que l’on protège. De lui-même. Ou alors : le boss invité pour dîner, il parle fort, on ne comprend rien à ce qu’il raconte, il met de la musique de merde sur son portable, il s’étonne du prix au mètre carré, sa femme parle peu, personne ne s’occupe des enfants …

D’autres histoires. Il n’y a pas que moi au monde.

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Adieu

Un jour, sans le décider moi-même, au contraire, malgré moi, j’ai recommencé à courir. J’avais arrêté la clope, le vin, les sorties, les amis, et une irrésistible envie de courir m’a prise un matin et m’a sortie de chez moi après deux semaines de rien, de sommeil, de pas lavé, pas mangé, pas chargé mon téléphone. Je suis partie d’en haut, de chez moi, à Vomero et je suis descendue jusque dans le vieux Naples d’en bas, le sale, le malfamé, l’oublié. J’ai failli me péter la gueule plusieurs fois en glissant dans les petites ruelles mais rien de m’arrêtait, je continuais à courir, comme si je n’avais fait que ça toute ma vie, comme si j’étais en train de boire de l’eau pour assouvir une grosse soif, l’été sous la canicule, comme si j’étais en train de respirer tout simplement. Bizarrement mon corps jusqu’alors blême réagissait bien, il me suivait facilement, mes jambes étaient presqu’en train de voler, je touchais à peine le sol, j’étais légère, un petit oiseau de ville, j’aurais même pu faire un saut sur le linge étendu aux fenêtres et puis reprendre mon envol, cette fois-ci pour aller plus loin, plus haut, l’image du Vésuve soudain dans ma tête. Je sentais la sueur glisser sur mon corps, elle commençait à me faire mal, son acidité attaquait ma peau, mais je ne pouvais pas m’arrêter, je ne savais aucunement où j’allais mais je devais continuer, quelque chose en moi me disait que je saurais quand je serais arrivée. De ma course, je surveillais les gestes des passants, le va-et-vient de la ville, ce personnage collectif sur lequel j’avait toujours voulu écrire dans un roman monographique – la foule folle, des histoires napolitaines – je me sentais énergisée, vivante, j’étais – pour la première fois depuis bien longtemps – curieuse. C’est qui lui, il fait quoi là, pourquoi il achète ça, à qui l’apporte-t-il, comment s’appelle-t-il ? Tiens, ça pourrait être un Rosario qui fait le marché pour sa tendre et douce Giuliana ; il ne se doute de rien, mais cette madone ineffable le trompe avec son meilleur ami dès qu’il a le dos tourné ; le dimanche matin surtout, pendant la messe, que Rosario suit avec ardeur toutes les semaines, Giuliana file voir son amant entre deux courses ; leur coït est toujours bref et inachevé, aucun des deux ne jouit, leur excitation reste entière pour la prochaine fois, et la prochaine, et la prochaine encore … S’il le savait, Rosario tuerait son rival. Chez nous, on règle encore nos comptes – surtout ceux qui tiennent à l’honneur – nous-mêmes. Les prisons ne désemplissent pas. Ça m’amuse d’imaginer tout ça. Je repense à mes parents, à leurs mensonges, à leurs vies doubles, cachées, puis découvertes, mais tues, fermer les yeux, sauver les apparences, continuer comme si …

Je m’arrête devant la chapelle Sansevero. Je sais maintenant que toute cette urgence c’était pour voir une dernière fois Il Cristo Velato, pour toucher comme Thomas les blessures du Christ, serai-je à nouveau émue comme quand je l’ai vu la première fois, enfant ? Ressentirai-je avec la même puissance toute la douleur du voile posé sur le corps inanimé du Christ ? Me trouverai-je proche de lui à nouveau, mortelle comme lui pendant 3 jours ? Serai-je petite devant l’art, heureuse d’être en vie devant toute cette beauté ? L’accès est devenu payant et je n’ai pas un rond. On me regarde de la tête aux pieds et on me laisse entrer quand même. On est encore comme ça à Naples. On peut transgresser les règles, prendre des décisions personnelles, ne pas respecter la procédure, être humain. Je remercie des yeux et j’avance. Il est toujours là, en plein milieu de la chapelle. Je pause. Je respire. Des larmes tombent sur mes joues. Il me fait le même effet. Je reste encore quelques minutes pour me réinscrire sur la rétine son image entière pour l’amener avec moi.

Le retour est plus calme, je ne cours plus, je marche. A la maison, je prends une douche, je prépare une minuscule valise cabine et je file à l’aéroport, je prends le premier vol international.

J’aurais bien aimé finir par « vedi Napoli poi muori », j’adore cette phrase, je n’ai aucune idée d’où elle vient, mais je l’aime d’amour. Pour moi, les muscles se relâchent, la pression tombe, I can let go, I no longer need to fight, dans la mort il y a une notion de repos, de répit.

Mais je n’ai pas quitté Naples pour mourir. Je l’ai quitté pour vivre.

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