Le cours d'écriture de Marie
Klara se réveilla mal : elle identifia tout de suite
cette boule d’angoisse dans la poitrine qui – elle le savait déjà – n’allait
pas la laisser se rendormir. Elle essaya quand même : ferma les yeux,
compta jusqu’à cent, les réouvrit, vaincue. Elle alluma la lumière de la
chambre, puis celle de la cuisine, mis l’eau à chauffer, prépara son premier
café au lait de la journée, retourna au lit, lut un peu. En ce moment elle
n’avait pas de roman doudou, ce qu’elle lisait était grave, triste, sérieux.
Jude, l’avocat homosexuel qui se scarifie pour oublier les prêtres pédophiles
qui l’ont élevé, se meurt. Adelaïde, l’attachée de presse quinquagénaire, va
finir toute seule, sans mec. Pas de confort de ce côté.
Klara sait que ça ne passera pas tout de suite, tout seul.
Elle sait qu’elle doit faire quelque chose : sortir, marcher, appeler,
parler. Il est trop tôt pour demander de l’aide. A contrecœur, elle enfile ses
basquets et marche jusqu’aux Buttes Chaumont : elle a de la chance, le parc
est déjà ouvert. Elle part à la recherche du spot idéal, celui qui lui
apportera la paix, le salut, l’air.
Elle s’arrête près du lac, au soleil, à côté des canards.
Elle se déshabille, s’assoit. Elle rêve de l’Allemagne, des parcs naturistes où
l’on peut se foutre à poil quand on en a envie. Angoisse et vêtements :
parfois c’est trop lourd pour son corps – poids intérieur plus poids extérieur.
Ce serait plus facile de partir du dehors pour se débarrasser de ses peines.
Résignée, elle garde son t-shirt qu’elle noue sous sa
poitrine et sa culotte haute, de mamie. Zéro risque d’exhibitionnisme, elle
reste bien couverte quand même. Quelle idée, cette dentelle orange !
Pourquoi ? Pour qui ? Les filles comme elle ne devraient investir que
dans du coton blanc. Utile. Pratique. Non montrable. Couvrant. Combien de temps
depuis sa dernière épilation du maillot ?
Enfin. Elle s’allonge dans l’herbe, sent le soleil chauffer
ses bras, le vent bousculer les feuilles, caresser ses cuisses, le calme, la
solitude, l’apaisement, l’OKness. Pensée : dommage que le soleil ne fasse
pas de bruit ; dommage que le vent n’ait pas de couleur. Soudain, l’odeur
de l’Eau Sauvage de Daniel lui remplit les narines. L’angoisse revient. Echec.
Et mat.
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Je t’ai vue ! Je t’ai vue te taper le vieux
dégueulasse ! Non mais vraiment tu n’as pas honte ? Il a 75 ans le
mec, la mort le cherche à la maison et lui s’occupe à draguer des minettes de
40 ans comme toi ! Honte, maîtresse, honte à toi !
Celui-là je ne l’ai pas vu venir. Je n’ai rien dit pour le
gros libidineux de l’année dernière, ni pour le géant colérique de cet été –
eux au moins avaient ton âge, mais les escapades gériatriques : tu me fais
peur !
Je me demande si je ne devrais pas te mettre sous tutelle,
tu as sûrement perdu la tête pour ainsi te compromettre, tu es tombée bien bas,
maîtresse ! Le monde est vraiment mal fait pour que les hommes insensés
aient autant de pouvoir et les chiens – êtres de raison – si peu.
Au début, quand j’ai rejoint ton foyer, je te respectais. Je
te trouvais charmante, intelligente, cultivée, d’un goût exquis, j’adorais me
balader entre Genève, Marbella et Paris en ta compagnie, au gré de tes
affaires, de tes vacances. Même les gosses – mal élevés – je les trouvais
mignons. Nous avons vite développé nos private jokes : je t’ai déchiré
tous tes soutifs La Perla, en croyant à des jouets endiablés ; tu m’as
arraché un bout d’un coussinet d’une patte en y voyant un chewing gum virtuel –
des histoires à raconter toi aux bourgeois, moi aux toutous. Tu m’amenais
partout : au yoga, à la gym suédoise, courir à travers les champs, à la
plage, au bord du lac, en randonnée à Gstaad. J’étais ton compagnon fidèle – tu
ne m’as pas appelé Roméo pour rien !
Puis je ne t’ai plus suffi. Les hommes sont retournés dans
ta vie : d’abord Philippe, le financier obèse ; puis Emmanuel, le
start-uppeur hystérique. Je n’ai rien dit quand tu m’as interdit l’entrée à ton
boudoir, ta chambre à coucher, ma reine. Je supportais courageusement cette
concurrence déloyale. Elle ne me faisait pas honte. Je les considérais quelque
part mes égaux – en moins bien.
Mais là tu me demandes trop ! Je suis phobique des
vieux, ils me rappellent la mort et moi j’aime la vie : aboyer, courir,
baiser, les croquettes. Avec lui, je vais choper une dépression. Alors non
maîtresse, ça suffit. Si lui il reste, moi je te quitte. Les jeux sont
faits : ouaf, ouaf, adieu !
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Une séparation (extrait)
… je l’aurais quitté. Le collembole me sert, je dois encore
avoir pris du poids. C’est ça l’amour : grossir, pleurer, souffrir,
oublier. Mieux vaut vivre sans.
Je suis en colère. Inspire. Expire. Focus on the now. Snap out of it. Retourne
bosser. Vis ta vie. Sans lui. Connard ne va pas changer par le pouvoir de ta
pensée. Il est comme il est : fils de pute et pas autrement. Get used to it. Or leave. Fais
ce qu’est bon pour toi, pas pour lui. Pense à toi. Arrête d’essayer de faire
plaisir, ça ne marche pas. Il se fout de ta gueule. Point. Prends ce que tu
veux et tire-toi. Sauve-toi. Passe à autre chose. Next.
Mathilde enlève le collembole et met une robe plus large, plus légère, d’été. Soudain, elle respire mieux, elle se sent plus libre. Elle se regarde dans la glace et – à sa grande surprise – se plaît. Elle repart dans ses préparations matinales : petit déj, café, refaire son sac pour le boulot, reprendre sa to do du jour. Elle est désormais décidée d’en finir avec Gaëtan une fois pour toutes : elle ne le verra pas ce soir, elle lui dira j’peux pas, j’ai poney. Déso. … Puis la solitude revient. Mathilde se regarde à nouveau. Je ne le sens pas mais je lui redonne une dernière chance (j’ai le sentiment …
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