Le cours d'écriture de Marie

Le médecin de la peau

J’ai sonné à l’interphone du docteur Cohen une demi-heure avant notre rendez-vous. Comme j’avais fini plus tôt ma formation, j’avais le choix entre traîner dans un café ou patienter dans sa salle d’attente, j’ai choisi la version la plus économique. Arrivé devant sa porte, j’ai eu un sentiment étrange de déjà vu, une sorte d’angoisse, d’appréhension, de vade retro et en même temps, une force imbattable qui me poussait vers et tirait de l’intérieur. J’ai fermé les yeux. En les ouvrant, quelle ne fut ma surprise de me retrouver assis au fond d’un grand fauteuil en cuir dans un boudoir aux murs tapissés de velours, aux lumières tamisées et aux tapis épais, accueillants, confortables. Mes pieds s’y enfonçaient avec une lourdeur, un relâchement, que je ne leur connaissais pas. C’est alors qu’une petite musique envoûtante retentit puis, comme par miracle, un petit verre de brandy doux, très doux, sucré et chatouillant, parut de nulle part devant moi. Je le saisis et but et tout mon corps fut envahi d’une chaleur, d’une tendresse, d’une excitation incontrôlables qui se répandirent dans mes veines avec une vitesse et un jusqu’auboutisme incroyables. J’en étais embibé. Soûl. Envoûté. Je refermai les yeux me laissant aller, tomber, m’enfoncer dans cet étourdissement heureux, confortable. Silence. Puis 6 coups : l’horloge marquait 18h, heure de mon rendez-vous. Soudain je vis ou plutôt j’imaginai une autre présence humaine dans la pièce, quelqu’un qui s’approchait doucement, insidieusement, comme un petit animal vicieux, dont je ne pourrais plus jamais me débarrasser, comme un singe qui tire la langue en serrant très fort. Pourquoi je n’arrivais plus à ouvrir mes yeux ? Pourquoi je ne pouvais plus bouger ? Crier ? Au secours ? …

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Le lac

J’ai passé la nuit chez Elena, dans sa cabane au milieu des arbres. Le feu de sa cheminée m’a réchauffée d’une chaleur, d’une présence humaine presque, d’une amitié. Elle m’a chanté le Cerisier. J’en ai pleuré. Elle m’a bercée. Je l’ai remerciée. Le matin elle a brûlé de l’encens et de la sauge avant le départ. Elle m’a bénie. Elle m’a dit : va avec Dieu ! Elle m’a dit : reviens, je t’attends. Ne reste pas là-haut. Tu n’es pas seule. Je suis là. Je l’ai embrassée. Je l’ai serrée dans mes bras. Dernière. Derrière. Je l’ai laissée.

J’ai pris le chemin de la cascade hurlante (ma tête s’est remplie des cris des enfants et des bruits saccadés de la mitraillette de cet enculé ; comment appeler un meurtrier autrement ? un tueur reste un tueur quel que fût l’âge, un salaud reste un salaud même mineur ; quand le bruit prend la place entière ; survivre avec la tristesse, la dureté, la haine ; survivre à la vie prise des autres ; seule derrière). Je suis arrivée en haut en laissant la rivière descendre parmi les pierres. La vallée du lac m’est apparue par surprise. Aucune image ne m’était restée d’avant. Une première sans passé. J’ai respiré. Enfin. Le grand sapin séculaire m’attendait ici. A ses pieds, j’ai creusé jusqu’à sentir le tissu de l’âne que Nathan y avait enterré l’année dernière, quand il avait 8 ans. Je l’ai pris dans me bras. Et j’ai pleuré. Les larmes d’un lac.

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