Le cours d'écriture de Marie



Juliette a un petit chat jaune. C’est un menteur : il ne reconnaît jamais quand il pisse sur la couette, ni quand il tue des oiseaux par ludisme et sadisme. Trois petites taches blanches sur son adorable petit museau le rendent craquant aux yeux de tous. Généreux en caresses, il se fait tout pardonner quand il se pose et prend la pose : hier, dans la passoire oubliée sur le plan de cuisine ; l’autre jour, les pâtes reposant sur les têtes de fenouils fraîchement apportés du marché ; la semaine dernière, dans la grande poche de la veste pendue au grand portemanteau boisé de l’entrée ; et ce soir, par cet effrayant temps orageux, sur mes genoux de visiteuse heureuse.

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Samedi 8 juin 2019, La Table du Luxembourg – terrasse du Jardin du Luxembourg, Paris

Il est en retard. Sa veste était tâchée. Il a dû en changer. Cela commence mal.

Elle est déjà là.

Une jeune femme. Grande. Blonde. Belle. On dirait qu’elle sort de chez son coiffeur. Ses boucles sont parfaites. Son teint lumineux. Reposé. Lisse. Elle est à plat, confortable dans ses baskets. Robe courte, mais collants opaques, une petite veste blanche, diaphane. Assise au milieu d’un faisceau de lumière, elle brille de tous pores : Rembrandt inversé. Derrière une tisane. Au lait chaud. Elle sort son livre, lit. Non, elle n’y arrive pas, le referme. Un peu nerveuse ? Elle lève les yeux. Le reconnaît. Sourit. Se relève. L’accueille. L’embrasse. Des étoiles dans ses yeux. A lui. À elle.

Première fois. 

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Ma mère accrochait contre le mur une paire de ciseaux à chaque fois qu’elle perdait quelque chose pour la retrouver. Sa superstition me faisait honte. Aujourd’hui elle me fait défaut.

Chez lui, il avait toujours des oranges bio ; il m’en avait servi en dessert deux fois ; il les épluchait et coupait avec soin, on n’avait jamais fait ça pour moi avant. Mais elles n’étaient pas délicieuses comme les oranges que j’achète au marché. Elles étaient comme trop sucrées et pas assez succulentes. Je n’en ai pas repris. Mon amour pour lui s’active quand j’y pense. Ma douleur aussi. 

Il y a plusieurs objets qui m’ont donné envie pendant cette vente aux enchères caritative : le vase en cristal Lalique, le parasol japonais vintage, la photo de ces femmes aux cheveux couverts et au visage libre, rayonnant, rieur – j’étais jalouse des gagnants, j’étais déçue de ma peur d’aller plus loin, de prendre des risques, de ma radinerie. Parfois, je ne me donne pas les moyens d’accomplir mes rêves.

Ivan laissait traîner ses affaires. Chez lui. Mais chez moi aussi. Quand je retrouvais son slip sale par terre à côté de mon lit je me mettais en colère, mais je ne lui disais rien : j’avais peur de le confronter, du coup je laissais s’accumuler la merde. Jusqu’au trop plein. Jusqu’à la rupture.

Hier on m’a offert une boîte de chocolats Jean-Paul Hévin. Une « grand classique » 700 grammes de 85 chocolats assortis, avec des pralinés et des ganaches à 69,90€. Elle était dans un sachet thermorésistant pour faire face à la chaleur avec, à l’intérieur, une poche de gel réfrigérant : la grande classe. Et elle était entourée d’un joli fil doré avec une vraie médaille incrustée au nom du chocolatier rappelant ses distinctions internationales. La découverte de cette petite boîte précieuse m’a remplie de joie. Le chocolat je l’ai aimé … même si je ne peux pas le goûter. J'ai vraiment la pire des allergies !

Elle a eu une dure journée. Le soir, lessivée, triste, déprimée, elle s’est ouvert une bouteille de rosé qu’elle s’est envoyée entière sur le canapé devant la télé. Anesthésiée, elle s’est couchée tard, elle a dormi mal, ce matin la voilà fatiguée, la tête dans le cul. Elle a survécu. Le vin l’a aidée à surmonter ses émotions, ses peurs, ses angoisses, ses ressentiments. Parfois, on a besoin de béquilles pour continuer à avancer. Aujourd’hui, le vin la dégoûte, elle ne s’imagine pas en boire une seule goûte, son palais mérite mieux. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir de la compassion pour cette fille et pour elle-même, celle d’avant.

J’ai perdu la bague et les boucles d’oreille que ma mère m’a offertes : des bijoux qui sont dans la famille depuis des générations ; je n’aurais dû les recevoir qu’à mon mariage, mais comme je suis toujours célibataire à 37 ans sans perspective, ma mère a transgressé sa propre règle. Maintenant elle est en colère contre moi : ai-je vraiment fait attention ? ne serait-ce pas la femme de ménage qui me les a piquées ? Et moi indignée d’elle : me les avait-elle offertes oui ou non ? De quel droit me questionne-t-elle par rapport à un bien qui m’appartient ? Je sais, donner et critiquer sont ses façons d’aimer.

Les amis de mes parents ont offert un magnifique ours en peluche à ma voisine Camélia. J’en suis blessée, triste, hystérique : pourquoi je n’ai rien eu moi ? Camélia a plus de jouets à la maison, c’est bien connu ! De quel droit on lui offre mes cadeaux ? Ma colère ne descend pas dans les bras de ma mère.

Chaque matin je retrouve avec joie mon cahier de correspondance : 3 pages par jour d’écriture automatique nettoient mon âme et m’ouvrent au monde. 

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Belmondo est (Le) Magnifique : le meilleur agent secret au monde imaginé par un écrivain raté tombe fou amoureux de sa voisine ; lorsqu’il pense avoir été rejeté, dans un délire autodestructeur, il s’en prend à son héros, qui s’en prend plein les dents (et pas que !).
L’amour et le courage triompheront-ils ?

Tendre est la nuit : peut-être le premier livre sur la codépendance écrit par l’autodidacte poète Francis Scott Fitzgerald. Un psychiatre épouse sa patiente. Elle va mieux, il sombre. Vont-ils s’émanciper l’un de l’autre ? Pour se rétablir, ou pour tomber dans d’autres addictions ?

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J’ai écrit des conneries dans un journal collectif.

Je signais « Lavinia Cobain » tellement j’adorais Kurt. A sa mort, j’avais pleuré pendant 3 jours.

En souvenir, j’avais déposé un poème cru :

Picpalac într-un tufis, mie-mi vine sa ma pis.

Picpalac într-un copac, mie-mi vine sa ma cac.

Qu’on pourrait traduire :

Ouistiti, wapiti, j’ai envie de faire pipi.

Flagada, pastaga, j’ai envie de faire caca.

Le journal est tombé entre les mains de la maîtresse qui a crié scandale en alertant mes parents.

Lavinica dit :

Franchement, je ne comprends pas pourquoi ils me prennent la tête comme ça ! Pipi, caca … il y a pire comme gros mots ! C’est tellement injuste !

Madame Mocofanescu dit :

Vous comprenez, c’est très embêtant. C’est un très mauvais exemple pour les autres élèves. Nous sommes obligés d’appliquer une sanction pour montrer que toute mauvaise action entraîne des conséquences et, in fine, une punition. Comment est-ce possible qu’une fille aussi gentille, intelligente, travailleuse et cultivée puisse faire une telle bêtise ? Je compte sur vous pour lui en parler.    

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