Le cours d'écriture de Marie

 

Je me souviens, enfant, parler une langue inventée, jouant tous les personnages de mon histoire, jusqu’à m’ouvrir le crâne en sautant du canapé en plein milieu du salon. Noël aux urgences.

Je me souviens du premier baiser volé sur une chanson de Céline Dion. J’avais 14 ans. Il en avait 20. Il était avec quelqu’un. C’est moi qui l’ai embrassé par surprise. Mon premier mec indisponible.

Je me souviens des histoires de mon père et des histoires de ma mère. Inventées. Chacun son style. Ils ont tout essayé pour me rendre heureuse. Sauf l’être eux-mêmes.

Je me souviens de mes premières clopes et de mes premiers alliés, de ceux et celles qui m’offraient asile : ma grand-mère paternelle qui m’accueillait avec ma satanée fumée qui sentait l’homme. Elle était seule depuis ses 40 ans.

Je me souviens de la montagne : s’y perdre n’a jamais été un drame. On ne peut que finir par retrouver un chemin en descendant. Peut-être bien pas le même, mais un autre. Tout aussi bon.

Je ne me souviens pas de tout. Jeune, je buvais beaucoup. 

Je me souviens avoir eu un chéri imaginaire. Il s’appelait Marian et il était parfait. Je crois que même mes parents l’aimaient beaucoup – sauf son prénom peut-être – de gitan.

Je me souviens du jour où je me suis énervée parce que je n’avançais pas au piano et l’examen approchait : j’ai jeté mes partitions par terre et ma mère a dit à mon père, toute fière : elle est plus folle que moi.

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Tout l’été j’ai pensé à toi. Je t’ai imaginé fort et en même temps doux, sage mais sensible, indépendant et généreux. Te voir sans pouvoir te toucher m’a été une souffrance. Rêver – ma seule délivrance temporaire. Je suis devenue spirituelle en t’attendant. Je regardais autour de moi et je m’émerveillais de la nature, du ciel, des nuages, du soleil. Je vivais la météo comme une expérience tantrique : ma peau s’assoiffait pendant la canicule, je me sentais brûler de l’intérieur en attendant la pluie (et en pensant à toi), pendant l’orage le contact avec la première goutte d’eau ressuscitait ma virginité du toucher, sentir le vent me caresser brutalement, tendrement (et en pensant à toi) aguichait mes sens. J’étais toute épiderme, j’étais toute papille gustative, j’étais toute lèvre, vulve, un clitoris géant. Les éléments me pénétraient, me transportaient et (en pensant à toi) j’atteignais le paroxysme sensoriel, sensuel, sexuel.

Tout l’été j’ai pensé à toi. Te voir sans pouvoir te toucher m’a été une souffrance, mais une excitation aussi, comme si j’avais passé l’été à me masturber (en pensant à toi).

Plus dans la tête que dans le corps : je me souviens de toutes nos discussions – une relation à distance, ça a du bien. On a pu s’accorder sur nos valeurs, nos aspirations, nos rêves cachés. On a pu se découvrir autrement dans l’attente, dans la patience.

Ton corps tiendra-t-il ses promesses ? Je m’imagine me laisser tomber dans tes bras. Je t’imagine m’attraper vigoureusement, sainement, confortablement.

Nous n’aurons pas beaucoup de temps, je le sais. Après le Grand Détachement mon corps fondra vite. Mes cellules se perdront dans les tiennes. Après la Fusion, moi – telle que tu m’as connue quand mon corps était matériel, je n’existerai plus. Mon ADN viendra nourrir, enrichir le tien. Tu m’avaleras comme la baleine Jonas. Notre Symbiose ne durera que quelques jours. L’automne n’est pas infini. Déchue, tombée de mon arbre, je ne tiendrai pas longtemps. L’hiver, je ne te serai plus qu’un souvenir.

Mon amant – terre éternelle.

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Lui : J’ai très envie de t’embrasser.

Elle : Là, maintenant, tout de suite ?

Lui : Oui.

Elle : T’es sérieux ?

Lui : Oui. T’en a pas envie, toi ?

Elle : J’sais pas. Oui, peut-être, juste pour voir.

Lui : Ah.

Elle : Quoi « ah » ? Tu as l’air déçu.

Lui : Bah oui, je pensais que l’attraction que je ressentais pour toi était réciproque.

Elle : Bah elle l’est. Tu me plais.

Lui : Mais tu n’as pas vraiment envie de m’embrasser, si tu le fais c’est juste pour voir.

Elle : Bah oui, je suis curieuse. J’en ai envie, mais ce n’est pas non plus une envie irrépressible de te sauter dessus et de t’arracher toutes tes fringues comme dans les films. Je veux dire que si tu ne m’embrasses pas là, maintenant, tout de suite, je m’en remettrai. Pas besoin de te mettre la pression. 

Lui : Mais quelle pression ?! Tu m’embrouilles, là ! J’avais aucune pression, mais là que tu me dis « pas de pression », ça me stresse ! Tu veux m’embrasser ou pas ?

Elle l’embrasse. Ça dure.

Elle : Là ! Ça va mieux ?

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Crayon : Arrête, tu me fais mal !

Gomme : Mais non, je te fais du bien, toi arrête ! Vois ça comme un massage, un soin restauratif, une remise à niveau. Erase and rewind, ‘cause I’ve been changing my mind – comme dans la chanson des Cardigans.

C : Toi arête ! Genre tu sais ce qu’il se passe dans la tête du petit Nicolas et là, comme il a changé d’avis, on efface et on recommence.

G : J’efface et tu recommences. Chacun son rôle !

C : Oui, chacun son rôle, chacun à sa place, donc arrête de te la péter ! Tu n’as aucune idée de ce que veut dire mini Nico – pas plus que moi ! On est ses ustensiles, c’est tout. On ne fonctionne qu’entre ses mains. S’il ne nous saisit pas, on ne bouge pas.

G : T’as fini, là ? Ferme ta gueule ou je te fais ravaler tes mots encore et encore.

C : Oh, c’est beau ça, les menaces ! Bravo Monsieur Communication Violente ! Y’en a marre du patriarcat ! Marre de l’usurpateur ! Marre de la culture du silence, de la censure, des abuseurs ! Laisse-moi m’exprimer … nazi !!!

G : Oh, là, tu vas trop loin là, la folle ! Je ne fais que servir l’autorité de notre petit écolier – comme toi.

C : Ah, mais bravo, l’argument ultime : la soumission à l’autorité. C’est pas moi, c’est l’autre. Je n’ai rien fait, moi. Je ne commande pas, j’exécute. Je réitère : nazi !

G : Assez, t’exagères ! Je te rappelle que tu viens d’écrire « Brian is in the kitchen » - il y a mieux comme phrase contestatrice. Un peu d’humilité s’il te plaît ! Je te rappelle aussi que j’ai dû effacer ton kitchen à 2 reprises, tellement il était bourré de fautes. On n’aurait même pas deviné que c’était de l’anglais !

C : Ah, oui, d’accord, maintenant tu critiques mes fautes. Perfectionniste ! Bourreau ! Ces sont les gens comme toi qui tirent vers le bas nos jeunes : à force de leur mettre la pression, ils finissent par laisser tomber l’école. C’est normal de faire des fautes quand on apprend !

G : Mais je ne dis pas le contraire ! C’est exactement pour ça que je suis là moi : pour corriger, pour aider à apprendre ! Sans moi, on n’avancerait pas !

C : Ça va, les chevilles ? Toi, t’es là pour effacer, moi pour créer ! Toi pour punir, moi pour innover.

G : Oh, qu’est-ce que t’es chiant, sérieux ! J’en peux plus de tes insultes, je vais t’amener aux Prud’hommes, tu verras. Je te le dis tout de suite : c’est du harcèlement. On ne traite pas comme ça ses collègues. Je n’ai pas oublié que tu m’as appelé « nazi » à deux reprises !

C : Mais vas-y, fais-moi ton procès ! J’ai hâte ! On verra qui est qui, qui fait quoi. Tu ne me fais pas peur, Effaceur ! Je me teins droit devant toi, je garde ma verticalité, ma colonne vertébrale !

G : La ferme, je ne veux plus t’entendre ! Je demanderai aussi des dommages et intérêts pour compenser les préjudices subis. Je suis en train de vivre un traumatisme.

C : Pfff, ta gueule !

G : Toi, la ferme !

C : Connard !

G : Salope !

C : Oh, il ferme le cahier. Il a fini ?!

G : Oh, non, pas si vite ! Je commençais juste à m’échauffer !

C : Il va encore nous ranger dans la trousse.

G : A nous l’ankylose …

C : A nous l’immobilisme, l’attente, l’ennui …

G : Nos engueulades vont me manquer, « C » !

C : A moi aussi, « G » !

G : Allez, bon week-end au calme !

C : Jusqu’à lundi, à l’école, youpi !

G : J’ai hâte !

///

Je tiens à apporter mon témoignage dans cette histoire. J’ai rencontré l’homme dont vous parlez à Nancy, au Grand Café Foy de la Place Stanislas. Je me suis assise à côté de lui et nous avons papoté entre touristes, échangé des impressions de voyage, des bons plans. C’était un homme jovial, il avait plein d’anecdotes à raconter, dont une sur une parent de la noblesse appauvrie, cette tante qui refusait toute aide en cuisine pour oublier qu’elle n’était plus « servie ». Volubile, il parlait avec facilité littérature et connaissait même ces ennuyeuses Lettres d’une religieuse portugaise de Guilleragues – un auteur de 1600. Il travaillait dans le vin et semblait s’y connaître en gastronomie. Il était accompagné par une dame qu’il appelait « mon amie » et qui partageait sa chambre d’hôtel. Elle ne ressemblait pas du tout à sa veuve et n’était certainement pas présente à l’enterrement – je l’aurais remarquée. J’ai une mémoire assez photographique, je pourrais vous aider à dresser son portrait si vous le souhaitiez. 

 

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