Le cours d’écriture de Yolande
My name is
Mon nom est Vert. Je te laisse passer au feu vert. Vert te fait sentir l’herbe fraîche verte. Verte est la pelouse de la maison de tes parents que tu vois là devant tes yeux, jeunes, verts, en pleine forme, comme tu voudrais qu’ils soient encore aujourd’hui, en pleine cirse du coronavirus.
Les forêts sont vertes.
Les crocodiles sont verts. Quelle est la
différence entre un crocodile ? Il est plus long que vert. Et pourquoi ?
Parce qu’il est long tout le temps mais vert que dans le dos.
Les espaces verts sont verts.
Mon nom est Rouge. Je te laisse attendre au feu
rouge. Rouge : tu vois rouge lorsque la couleur du feu ne change pas et
que t’es en retard pour une réunion importante, à ton boulot important, dans ta
vie importante, de personnalité « rouge » - décidé, organisé,
autoritaire, énergétique.
Rouge est la colère qui s’accumule, qui se
transmet de génération en génération jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la
contenir. Rouge est le feu qui suit l’explosion, les incendies de nos vies brûlées,
des koalas par milliers hypnotisés par les flammes comme les lapins en pleine
nuit le moment juste avant l’impact. Rouge est le sang qui coule de ton nez
sans raison à l’école. Quelle panique : l’hémorragie meurtrière frappe
encore dans les cours de récré, les tranchées, les familles dysfonctionnelles.
Mon nom est parfois Vert et parfois Rouge. Mon nom
change avec les couleurs, les saisons, les mois et les jours. Mon nom n’a pas
de morale. Il a de la vie. Et parfois de la mort.
Mon oncle raconte une histoire. Il est au volant à
l’arrêt en voiture. Une jeune fille traverse. Il lui fait signe d’aller lui
parler, comme s’il avait besoin de renseignements. Aimable, elle se penche vers
lui. Il lui dit : Mademoiselle, dépêchez-vous, cette voiture écrase, elle
ne baise pas. A l’époque je rigole de plein cœur. Mon oncle – mon héros.
Aujourd’hui être héros c’est se laver les mains.
Aujourd’hui, mon nom est Coronavirus.
My home is
La première scène est une vue d’en haut de la place
de la Bastille. J’ai envie que le spectateur se sente comme un pigeon en plein
vol. Je sais que tu détestes les pigeons, excuse-moi, pas un pigeon alors. Je
sais, ils sont méchants, ils te font peur. Je n’aurais pas dû dire un pigeon, c’était
indélicat de ma part, excuse-moi. Pas un pigeon, disons un moineau. C’est mignon
les moineaux, n’est-ce pas ? Et complètement inoffensif. Je sais, ils
chient partout les pigeons, ils sont sales, ils font chier le monde. Oublie le
pigeon ! Tu sais quoi ? Oublie le moineau, ne parlons plus d’oiseaux,
revenons à la vue d’en haut de la place de la Bastille. Tu te souviens quand on
est montés dans la grande roue, aux Tuileries ? Cette vue ! Cette vue
qu’on avait sur la place de la Concorde, mais imagine-la sur la place de la Bastille.
C’est bon ? Tu vois la scène.
(Excuse-moi pour le pigeon. Je sais, moi aussi je
t’aime.)
Maintenant, le spectateur est sous le charme de
Paris, l’ange en haut de la colonne lui rappelle le divin, cette grâce unique qui
nous accompagne, nous parisiens, heureux élus, dans nos déplacements, dans nos
corvées quotidiennes, dans nos vies qui s’en trouvent comme magnifiées grâce à
cette ville mère qui nous accueille dans son ventre généreux. Bon, d’accord, t’as
compris, j’aime Paris, tu le sais. Je ne peux pas m’empêcher d’en parler, de
lui déclarer ma flamme à chaque occasion. Donc. La belle place de la Bastille
vue d’en haut et puis directement deuxième scène. Le cadre se rétrécit, on
descend petit à petit mais d’une façon très ciblée jusqu’au deuxième étage de l’immeuble
de l’Indiana café et plus précisément à la fenêtre du salon de cet appartement haussmannien
aux grandes fenêtres, moulures, cheminées, tu vois le style, oui un peu comme chez
nous, oui, pareil, c’est notre appart’ si tu veux. Parfait si ça t’aide à le
visualiser, c’est exactement l’intérieur de notre salon : la table basse
en bois, la peau de bête devant le piano, tout y est, c’est chez nous quoi.
Donc. La caméra avance par une fenêtre ouverte, comme une petite abeille échappée
des toits mielleux de Paris – t’as vu, je n’ai pas dit un pigeon – une abeille –
j’espère que tu me trouves plus délicat maintenant. Oh, pardon, je ne voulais
pas te rappeler tes peurs, je voulais juste souligner que je fais attention à
toi, que je t’aime quoi, que ton bien-être m’est cher. Pardon, mais là j’avance
parce que sinon on y sera encore ce soir. Donc la caméra rentre dans l’appartement
et là un homme la voit et il fuit, il se cache, un peu comme l’ombre de Peter
Pan, tu vois. La caméra essaie de le suivre, de l’attraper, mais impossible d’y
arriver, il connaît mieux l’appart’ que nous. Et là …
My source is
Maman, si on est confinées ensemble à la maison,
tu veux bien me réinventer des histoires comme tu le faisais quand j’étais
enfant ? A mon tour, je te raconterai tous les livres que j’ai aimés dans
la solitude de ma maturité, dans ma vie de femme seule, sans homme, sans
enfant. J’ai eu une vie remplie, maman. Si seulement tu pouvais faire taire le
bruit du monde dans ta tête, alors tu pourrais m’entendre pour de vrai, me voir
telle que je suis maintenant. Libre. Belle. Puissante. Maman, j’aimerais
tellement partager ma source avec toi qui es ma source. On a besoin de
contraintes pour créer. On avait besoin de s’enfermer pour se retrouver. La maladie
du monde extérieur est mon escalier vers toi, maman.
Commentaires