Le cours d’écriture de Yolande



Mon île
Maman aimait cuisiner. Le dimanche elle nous réveillait tous de bonne heure et, après le petit déjeuner, elle nous répartissait les tâches pour le gâteau du repas de midi. Moi j’adorais battre les œufs. J’étais la plus grande, alors j’avais droit aux appareils électriques, alors que mes frères et sœurs – encore trop petits – n’avaient pas le droit d’y toucher. Qu’est-ce qu’ils me jalousaient ! Qu’est-ce que j’en étais fière ! Maman mettait les œufs et le sucre dans un grand saladier et le ronronnement du mixeur démarrait tout d’un coup : on en était toujours surpris, même si on savait pertinemment à quoi s’attendre. Comme le sèche-cheveux dans les mains de mon père, le mixeur dans les miennes avait un effet thérapeutique : je me relaxais, je lâchais prise, je regardais monter les œufs en nage avec la satisfaction du travail solide, qu’on voit, qu’on valorise. La crème anglais, j’étais moins fan. J’ai toujours préféré le blanc très blanc. Je n’aimais pas ce jaune – blanc sale. Moi j’aurais servi les blancs d’œufs en neige tout seuls. La petite baignade en crème anglaise – trop peu pour moi. Mais pour maman, je restais classique, je respectais la recette. D’autant plus que mon dessert préféré c’est l’île flottante. C’est comme ça.

L’amour mesure plus de cent kilomètres de large
Ma douce, bientôt tu me quittes, bientôt.
Plus de cent kilomètres s’installent entre nous.
Notre amour, est-il plus large que ça ?
Notre amour, est-il plus long que ça ?
Bientôt tu me quittes, bientôt.
Notre amour : serein, il acceptera.
Notre amour : courageux, il changera.
Notre amour : sage, il saura.
Bientôt tu me quittes, bientôt, ma douce.
Généreux : notre amour, il se divisera
Reconnaissant : notre amour, il se souviendra
Pars, ma chérie, sans souci : ta pleine lune reste sur mon ciel derrière toi.

Love is more than one hundred kilometers large
My darling, soon you are leaving me, soon.
More than one hundred kilometers add-up between us.
Our love, is it larger than that?
Our love, is it longer than that?
Soon, you are leaving me, soon.
With serenity our love will accept distance.
With courage our love will change form.
With wisdom our love will know peace.
Soon, you are leaving me soon, my darling.
Our generous love will divide
Our grateful love will remember
Go ahead, my sweetest without worries: your full moon stays on my sky behind you.

Lettre à un ami
Cher Poète des Poètes, Artiste entre les Artistes, Maximus Grandibus Extraordinairicus Ami,
Je vous écris pour vous demander votre avis.
Comme vous le savez, sérénissime, excellence, symbole de masculinité, je suis aujourd’hui comptable dans une société rentable, particulièrement généreuse avec ses salariés. Hélas, my dear friend, mon travail m’ennuie : les chiffres me sont devenus insupportables, les lettres m’appellent comme des sirènes et ma capacité de leur résister faiblit de jour en jour. J’hésite donc, mon mentor, à démissionner et à me dédier à 100% à la poésie. Qu’en pensez-vous, ma source d’inspiration ? J’ai calculé qu’il me fallait 50 poèmes publiés par mois pour vivre confortablement. Seriez-vous d’accord pour jeter un coup d’œil à mon business plan, business angel ? J’ai vraiment besoin de vous, que j’admire comme personne.
Poétiquement vôtre,
Votre ami.
PS. J’ai dit : les sirènes m’appellent ; c’est une image. Vous, Poséidon, êtes vraiment mon style.

The handkerchief
She said: give me back my handkerchief
He said: why would a handmaid need one?
She said: it’s mine, sir!
He said: no one will believe you
Virginie Despentes asks in King Kong Theory what would it be like for women to be born without the fear of rape, of being called a bitch for wearing a short skirt, of hearing “she deserved that” if drunk. What would it be like for women to be born as men? What would it be like to be born in a world a priori non hostile, which does not call you “hysterical” as soon as you express an emotion? What would it be like if the panic, alertness, permanent attention to the potential malevolent outside environment was not transmitted to women from their mothers’ wombs? What would it be like to be born with the idea that your body is safe, that no one will harm it, that you do not need protection, that you are free to dispose of it as you wish?
Chris Kraus puts it differently in I love dick: I’ve fused my silence and repression with the entire female gender's silence and repression. I think the sheer fact of women talking, being, paradoxical, inexplicable, flip, self-destructive but above all else public is the most revolutionary thing in the world.

Bonus : Guillaume
La souris s’était mise à manger son dernier soulier mais Guillaume ne pouvait pas l’atteindre. Hélas, il était trop petit. Cette histoire de taille allait encore le pénaliser. Il serait bien monté sur une chaise pour s’élever jusqu’à l’étagère tout en haut où la criminelle prise en flagrant délit s’adonnait à son infraction sans vergogne mais, hélas encore, il était trop faible. Ses muscles ankylosés dès la naissance ne lui permettaient pas de porter des poids plus lourds qu’une assiette de pâtes. Il était seul. Il était sans défense. Il était vaincu. Sans s’arrêter de ronger, la souris le regardait de haut avec mépris, malice, dégoût. Si seulement Guillaume pouvait parler. Il aurait crié. Il lui aurait fait peur avec ses hurlements. Elle se serait enfuie. Mais hélas hélas oh hélas : nain, faible et muet - Guillaume avait la poisse.

Commentaires

Articles les plus consultés