Le cours d'écriture de Marie


Choisis ta gare et raconte ce que t'entends autour de toi ... 

Ah putain j'y suis. Gare du Nord, Bucarest. Undercover. Incognito. Mission secrète. Bond, James Bond. Agent 007. Partie d'Orléans ce matin. Tram, train, métro, RER, avion, taxi, toujours plus proche de ma cible, mon target, mon objectif, mon but. Plus qu'une heure d'attente, puis cinq heures de train, puis lui à la gare, comme la première fois, il y a vingt ans. Personne ne sait que je suis là. Ni mes parents, ni mes amis, ni tous ces gens qui attendent, comme moi, leur train. Alors, il est affiché ce petit con ? Train pour Bicaz … 15h30 … quai 10. C'est là, à droite, par là. Pardon monsieur, pardon madame, dégage la vieille, pousse toi le gros. Mais c'est pas possible. Ils ne bougent pas les gens, hein ? Faut vraiment leur rentrer dedans pour avancer. C'est de moi qu'elle parle cette salope ?
- Qu'est-ce qu'ils sont agressifs ces gens. J'ai failli tomber quand elle est passée.
- Hé, Madame, vous pourriez faire un peu attention tout de même, vous avez failli renverser cette dame. 
Je m'en fous. Je ne me retourne pas. Ne pas répondre aux provocations. Bon, alors, je me mets où ? A coté du couple frustré ou avec les gamines de lycée ? Trop bruyantes ces pintades, va pour le couple frustré, au moins eux, ils ne parlent pas. 
- Bon, je ne comprends toujours pas pourquoi tu n'es pas venue hier soir. Tu me la refais dès le début ? 
Non mais, ils ne vont pas se mettre à se raconter des histoires là. Je veux la paix moi!
- Je suis fatiguée. Tu ne peux pas me lâcher un peu ? Je t'ai déjà dit : je suis partie à l'heure, j'ai pris le tram, il est tombé en panne, j'ai attendu en espérant qu'il allait redémarrer, il n'a pas redémarré, je suis descendue et j'ai couru vers le théâtre, j'ai essayé de chopper un taxi mais ils étaient tous pris, il était déjà et quart quand j'étais à peine à la fontaine, je me suis dit que ça ne servait à rien de continuer, j'ai pris un bus dans l'autre sens, je suis rentrée chez moi, j'ai pris un somnifère et je me suis couchée. J'était crevée, j'avais une migraine, mon portable était éteint, je n'ai pas eu la force de le rallumer, je n'arrivais plus à penser, donc je ne me suis pas dit que t'allais te faire des soucis et tout le reste.  Je suis désolée, c'est pas cool, mais c'est comme ça. Je me suis excusée mille fois, qu'est-ce que je peux faire de plus ? 
La salope ! Elle le trompe, c'est sûr. C'est bon, je me fous de leur histoire, je vais lire un petit peu moi. 
- Donc, tu es restée chez toi, au lit, toute la soirée ?
- Oui. 
Oh là là, l'interrogatoire. C'est pénible, mec, elle ne va pas te dire qu'elle t'a trompé, on ne peut pas être aussi con. Fous lui la paix, bordel. Putain, ils m'ont encore déconcentrée. Je vais me relire la page d'avant.
- Tu n'es pas ressortie ?
- Non, je te dis que non ! Où tu veux en venir ?
- Je veux en venir au fait que je ne m'explique pas comment c'est possible que Marcel t'ait vue au Memphis à 22h en train de boire un verre avec un mec qu'il ne connaissait pas si tu me dis que tu étais chez toi, dans ton lit.
Ça devient intéressant, là Il a des preuves le mec. Ça va fighter !
- Il a dû se tromper Marcel ! Non mais je rêve, tu penses que je t'ai trompé ? Que je t'ai posé un lapin pour voir un autre mec ? Mais t'es complètement con ! Si j'avais voulu te tromper, je l'aurais fait un jeudi soir, quand t'es au foot. Non seulement tu penses que je ne t'aime pas (parce que tu me crois capable de te tromper), mais en plus tu me crois complètement débile. Je ne sais pas ce que me fait le plus mal. Tu sais quoi, si c'est comme ça, ce n'est pas la peine que tu m'accompagnes chez ma grande-mère. 
- Non mais je rêve, tu me dis de partir en plus ?
- Oui, c'est exactement ça, je n'ai plus envie que tu viennes. Barre-toi !
- T'es vraiment une salope, hein ?
Ouais, c'est bon ça, t'as finalement compris mon gars. C'est une salope, donc si j'étais à ta place, je me tirerais vite fait bien fait avant l'arrivée de ce foutu train. 
- Et toi vraiment un gros con. 
- Bon bah adieu !
Bye bye baby. Ah, pas trop tard le train. Allez, je monte, au revoir la salope !

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Madame Devaux tu recevras et tu l'écouteras ...

Docteur (D) : Reprenons d'où on s'était arrêtés la dernière fois. Eté 1998, plage de Vama, en Roumanie, vous avez 16 ans et vous êtes amoureuse de ce garçon Mateo. 
Madame Devaux (M) : Matéi, il s'appelait Matéi, il avait 10 ans de plus que moi et il m'aimait. Je le sais parce que je suis retournée à Bucarest pendant une semaine pour rassurer mes parents … et leur demander de l'argent pour retourner à la mer. En rentrant, ses potes m'ont raconté qu'il n'avait pas arrêté de hurler mon nom sur la plage tous les soirs, complètement bourré. Je lui avais vraiment manquée. Je l'imagine parfois : son pantalon rouge sur le sable blanc et le ciel noir, un vieux loup blessé hurlant mon nom à la lune : Anna. 
D : Ça a duré combien de temps entre vous ?
M : 3 mois, presque tout l'été. 
D : Vous l'avez revu après ?
M : Une fois, à Bucarest, presque 1 an après. Nous avons vite compris tous les 2 qu'il n'y avait rien entre nous. 
D : Pourquoi ?
M : Le temps, l'âge, se voir en étant sobre, pour la 1e fois … ça ne pardonne pas. 
D : Votre premier acte sexuel … c'était avec lui ?
M : Non, on n'a jamais couché ensemble. Il ne voulait pas, il pensait que j'étais trop jeune. 
D : Et ça vous a fait vous sentir comment ?
M : Inutile, incapable. Je me suis souvent demandée s'il ne me vendait pas du vent. Attendre pour que ce soit meilleur. Du vent, oui. 
D : Et aujourd'hui, ça vous arrive de repenser à lui ? 
M : Pas vraiment, non. Pas vraiment. J'ai rêvé quelquefois de lui. Il me violait. 
D : Ça vous faisait mal ? Vous aviez peur ?
M : Non, c'était très bien.
D : Ce n'était pas un viol alors.
M : Regardez, dans le jardin les premières grappes de lilas entrent en floraison …
D : Madame Devaux, restez avec moi s'il vous plaît. Pourquoi dites-vous qu'il vous violait s'il n'y avait pas de douleur ou de peur ?
M : Vous entendez ? Ce n'est pas très fort, mais je suis sûre que c'est encore le jardinier qui pousse la chansonnette au fond du jardin. S'il n'y avait pas sa voix, on entendrait peut-être le battement d'ailes des abeilles. 
D : Madame Devaux, regardez-moi. (Il claque des doigts devant ses yeux.) Je vais devoir vous hypnotiser. 
M : Toutes ces fleurs … leur parfum me rend folle. Vous me les offrez toutes ? Des roses pour caresser mes joues, des tulipes pour m'embrasser dans le cou, des marguerites pour épouser mes seins. Mais pourquoi des chrysanthèmes ? Je ne suis pas encore morte. 
D : (Il l'immobilise et la regarde droit dans les yeux.) Un. Vos paupières sont lourdes, très lourdes. Deux. Vous êtes fatiguée, votre respiration se fait plus lente. Trois. A mon claquement de doigts, vous dormez. (Il claque des doigts.) Madame Devaux, je vais vous poser une question et je vais vous demander de chercher la réponse très profondément dans vos souvenirs. Est-ce que Mateo vous a violée ?
M : Matéi, il s'appelai Matéi, il avait 10 ans de plus que moi et il m'aimait. On n'a jamais couché ensemble. Il ne voulait pas, il pensait que j'étais trop jeune. 
D : D'accord, très bien. Est-ce qu'un autre homme vous a violée ?
M : Oui.
D : Comment s'appelait-il ?
M : Charles Devaux. 
Le docteur leva son regard de son petit cahier de consultation, comme foudroyé. Il sentait ses lèvres trembler légèrement, sa langue se retirer doucement au fond de sa bouche en touchant le palais et sa respiration raisonner entre ses temples. Il reposa son stylo et pour la première fois eut un doute sur son diagnostic. 

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