Le cours d'écriture de Marie


La porte

Elle est complètement défoncée. La serrure tient, mais tout le bas est tordu vers l'intérieur. Si tu te penches un peu, tu peux te foutre un bras à l'intérieur ou même une jambe. Un rat pourrait passer. Même un petit chien. Peut-être même un porc. Non, quand même pas, un porc c'est trop gros. Il faut qu'elle soit ouverte pour que les porcs comme nous rentrent. Les porcs et les chiennes. Les bêtes. En manque. 
Rob habite ici et il en a toujours. Et il fait du crédit. C'est pour ça qu'on vient tous le voir quand on en a plus. C'est pas de la bonne, mais ça le fait quand t'as plus rien. Ou quand tu sors juste de cure comme moi et que t'as pas un rond et que tu crèves la dalle. 
1 mois sans rien. Ça, c'est du long. Et ça avait presque marché cette fois. J'étais super motivé ce matin en partant, décidé à 200% de ne plus jamais toucher à cette merde. Un pas dans le quartier et ça y est, je suis à cran, je meurs d'envie. 
Auto-pilote activé : mes jambes me portent jusque devant la porte. J'entends la voix de Rob : "c'est bon ça", c'est sa phrase préférée je crois, il la dit tout le temps. Il suffirait que je frappe et je serais de l'autre coté avec eux, comme avant. Toute cette peine, cette douleur, cette tristesse, disparaîtraient. Les voix de ma tête se tairaient à nouveau ("vas-y", "n'y vas pas", "tu peux en prendre de temps en temps, c'est rien, tu gères", "n'y vas pas, tu n'as pas la force, tu n'es pas assez fort, personne ne l'est", "vas-y, il suffit d'un gramme", "tu peux encore faire demi-tour", "n'y vas pas", "n'y vas pas"). 
Je frappe, Rob ouvre, il me sourit.
"Dude, welcome back !"

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Les parfums

Marc aime les parfums. Il préfère les vendeuses qui les vendent, écoeurantes. C'est ça qu'il aime, Marc, les femmes écoeurantes, hautes en couleur et talons hauts. Tiens, samedi dernier, comme par hasard, il était aux Galeries Lafayette, rayon parfumerie. Je dis "comme par hasard", mais c'est pour faire de l'humour, vous l'aurez compris. Car Marc est tous les samedis aux Galeries Lafayette, rayon parfumerie. Que les samedis parce que les dimanches c'est fermé et qu'en semaine il travaille. Marc a un job très important à haute responsabilité contractuelle, commerciale et humaine. Il est dans la finance. Nul ne sait exactement ce qu'il fait (on parle parfois de COO, ou CIO, ou CEO) parce qu'on est tous vraiment trop cons pour comprendre la complexité de la chose. C'est pourquoi Marc a choisi son évasif "je suis dans la finance", qui vaut un j'ai un job important mais t'es trop con pour le comprendre. En plus court, avec moins de mots, donc plus efficace. Et Marc aime l'efficacité. En semaine, Marc est donc très occupé. Entre déjeuners d'affaires, soirées d'entreprise, voyages internationaux en jet privé et lecture journalière de l'Equipe, il n'a jamais le temps de s'arrêter vite fait bien fait dans une petite parfumerie pour admirer une petite parfumière. C'est pour cela qu'il se rattrape le samedi. Célibataire de tous les jours, golfeur du dimanche et clubbeur du jeudi soir, Marc a tout le samedi rien qu'à lui-même, à ses senteurs et à ses vendeuses. Quel meilleur endroit pour passer ce moment de liberté et de relaxation qu'aux Grands Magasins où Carla (une grande brune aux seins voluptueux bien trop maquillée) le conseille sur le dernier miracle jeunesse Dior pour homme - le must have absolu du soin antirides, où Anna (une petite blonde sans formes mais tellement Barbie girl qu'on l'oublie) lui fait sentir toutes les eaux de Cologne en vente - retour à la mode vertigineux de ce best seller des années 50 après un demi siècle de mise au placard, de ringardisation complètement non justifiée si vous voulez mon avis, et où Célia (cette belle rousse à la peau blanche de colombe et à la cervelle idem) le drague gentiment - juste ce qu'il faut pour que le client achète. Toutes ces belles femmes à ses pieds, samedi après samedi. Marc se sent bien, il se sent homme, puissant et viril. 
Eh oui ! Les samedis, Marc se sent beau, et il oublie … sa calvitie.  

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